Bilan du Cerema de 20 mois de "80" : 349 vies sauvées ?

Après deux ans « d’expérimentation » de la limitation à 80km/h du réseau bidirectionnel sans séparateur de voies, le Cerema a remis ce lundi son rapport d’évaluation de la mesure.


On peut saluer l’effort du Cerema pour estimer à 349 le nombre de vies épargnées sur 20 mois, malgré les aléas de la période, les difficultés d’identification du réseau concerné, les indices de circulation, les vitesses pratiquées, les nombreux départements, essentiellement ruraux, qui ont fait le choix de « revenir au 90 » et l’âge du capitaine.

Sans surprise, le "80" ressort de la synthèse du rapport du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement), paré de toutes les vertus. Ça sauve des vies, ça sauve la planète et l’environnement, ça ne ralentit pas tant que ça les usagers, ça économise 700 millions d’euros par ans...

Bien entendu, on pourra pointer des biais autant que le contexte particulier de l’étude (épisode Gilets Jaunes, baisse de la circulation, radars détruits en masse, …) et ses paradoxes (des vitesses pratiquées qui parfois augmentent mais des morts qui baissent). On notera aussi qu’on est loin des objectifs de 3 à 400 vies sauvées par an.

Le principal biais de cette "étude" ? Le fait de comparer les 20 mois de "80" à la moyenne des 5 années écoulées. Or le nombre de tués diminue de façon quasi continue depuis 40 ans. Si on compare n’importe quel période à la moyenne des 5 années précédentes, le résultat sera toujours positif. L’honnêteté intellectuelle aurait été de comparer les chiffres obtenus par rapport à ceux attendu en traçant la courbe de tendance des dernières décennies.

Par ailleurs, le CEREMA est incapable de distinguer le réseau bidirectionnel sans séparateur concerné par le 80. Le rapport concerne en réalité toutes les routes hors agglomération qui ne sont pas des autoroutes... Pas très rigoureux comme "estimation".

Enfin le bilan positif sur l’aspect économique positif du CEREMA est tempéré par le Commissariat général au développement : en comparant les avantages (accidentalité, économies de carburant, baisse de la pollution) au « coût » d’une mesure similaire ’le 110km/h), il estime le bilan négatif de 550 millions d’euros. Un chiffre principalement dû à la perte de temps.

Pour autant les lois de la physique sont immuables : moins de vitesse, moins d’énergie consommée, et moins d’énergie à dissiper en cas de choc. Du coup, les conclusions, forcément positives sur la sécurité routière et l’environnement, en deviennent un peu triviales si l’on oublie le contexte sociétal.

Usual Suspect

A ce titre la vitesse est le "coupable idéal" et en ferait presque oublier qu’un accident est toujours multifactoriel. Le type de route, les comportements, l’alcool, l’état de l’infrastructure, les conditions de circulation, les distances de sécurité, les distracteurs au volant, la formation, etc. devraient compléter le tableau. Sauf que "Si le seul outil que vous avez est un marteau, vous verrez tout problème comme un clou." A défaut de marteau , vous reprendrez bien un radar automatique ?

Le Cerema se félicite, lui, de l’acceptabilité sociale en hausse de la mesure : « Depuis le 1er juillet 2018, l’acceptabilité mesurée sur un échantillon de plus de 3 000 personnes représentatives de la population française est en progression : 30 % des Français y étaient favorables en avril 2018, ils sont aujourd’hui 48 % (en juin 2020) ».

Ces chiffres qui montrent qu’une majorité d’opposants persiste après de 2 ans de "martelage", cache un malaise : en choisissant de durcir les sanctions (délit de grande vitesse - lois Gayssot 98), de les appliquer (radars automatiques , Sarkozy 2003) puis en changeant les règles de la vitesse maximale (Philippe 2018), la Sécurité Routière s’est rendu sacrément antipathique.

Une approche de la sécurité routière toujours répressive
La FFMC plaide depuis le début pour une modulation de vitesse au cas par cas, gage de pertinence et donc d’acceptabilité. Elle déplore que cette limitation, qui a suscité de vives réactions partout en France depuis 2 ans - notamment au sein de la communauté motarde très mobilisée sur le sujet - éloigne les français des enjeux de sécurité routière : « Le "80" marque la poursuite, par les gouvernements successifs, d’une approche réglementaire et donc répressive de la sécurité routière. À quand un délégué interministériel à la Sécurité Routière issu des ministères de l’Education Nationale ou des Transports ? ». Nous en sommes toujours assez loin avec la nouvelle déléguée qui a pris ses fonctions le 29 juin à la suite d’Emmanuel Barbe. Marie Gautier-Melleray sort en effet de Sciences po Bordeaux et a fait du droit sa spécialité. La FFMC a d’ores et déjà pris rendez vous avec la nouvelle déléguée interministérielle pour la rentrée.

Comme l’écrivait Moto Magazine le 1er Juillet, à la date anniversaire des 2 ans de "80" : « La FFMC et le Comité indépendant d’évaluation des 80 km/h demandent au gouvernement de mettre fin à l’expérimentation et de laisser aux élus le soin d’apprécier sur le terrain la dangerosité réelle du réseau secondaire et d’adapter en conséquence les vitesses autorisées ».

Chat échaudé
Se pourrait-il que leur requête finisse par être entendue ? Le Président a en effet rejeté d’emblée l’autre projet d’abaissement de la vitesse maximale autorisée, à 110 km/h sur autoroute, pour des questions environnementales cette fois en déclarant : « La transition écologique ne doit pas se faire au détriment des communes, des régions les plus enclavées ».

_ La synthèse et le rapport complet sont disponibles sur le site du Cerema.

NB : l’étude s’arrêtant au 31/12/2019, l’épisode confinement n’est pas étudié.